Peu d’études ont, pour le moment, été menées sur le compromis dans l’accompagnement des personnes âgées en perte d’autonomie par les proches, alors qu’il constitue une préoccupation majeure pour les familles, dans un contexte marqué par le manque d’alternatives au soutien familial et un certain nombre de transformations sociales qui mettent à mal le modèle traditionnel d’accompagnement des parents vieillissants.

On sait donc peu de choses sur la manière dont les proches aidants intègrent leurs préoccupations pour faire face à l’expérience de compromis

I. Les préoccupations relatives à la prise en charge sanitaire et la protection sociale

En France, le vieillissement de la population engendre de nombreux défis parmi lesquels la prise en soins des personnes âgées en perte d’autonomie. Le nombre de personnes âgées de 60 ans devrait plus que tripler à l’horizon 2050, ce qui entraînera l’augmentation des besoins en protection sociale et en soins de santé. Les différentes recherches indiquent que les personnes âgées sont particulièrement confrontées à un lourd fardeau de morbidité et d’invalidité en raison notamment des pathologies chroniques.

II. La prise en charge de la dépendance et le défi d’absence d’alternatives au soutien familial

Pour faire face à la dépendance, les personnes âgées comptent principalement sur le soutien des proches. Or, nous savons combien les transformations sociales contemporaines (éclatement de la sphère familiale) se répercutent sur l’organisation familiale, ce qui oblige les proches à des adaptations. Elles s’accompagnent de nouvelles stratégies de soutien comme l’intégration de la personne âgée à un ménage qui pourvoira à ses besoins quotidiens, en termes de soins comme de moyens économiques.

Si cette nouvelle stratégie semble aller de soi en ce qu’elle permet de répondre à un certain nombre de besoins de la personne âgée, elle peut néanmoins complexifier son parcours de vie, remettant ainsi en cause cette stratégie. Par ailleurs, les difficultés économiques rencontrées par certains ménages ne garantissent plus aujourd’hui des conditions d’accueil dignes pour toutes les personnes âgées. Suite à ces difficultés, le risque pour les aînés d’être exposés à la vulnérabilité relationnelle ou structurelle est élevé.

De plus, la formation des professionnels ne suit pas le rythme de l’augmentation du nombre de personnes ayant besoin de soins. Signalons que, pour l’heure, les familles reçoivent pas suffisamment de soutien pour gérer la charge de soins qui en résulte. Le manque d’alternatives de soutien à la famille dans la prise en charge des soins quotidiens entraîne des arrangements entre proches pour s’occuper d’un parent dépendant. Cependant, la question est de savoir comment ces proches s’organisent face aux contraintes qui en résultent.

III. Une analyse des expériences familiales :

Dans un modèle d’interprétation d’une « situation duelle » qui base la relation aidant/aidé sur le sentiment de dette, à savoir sur le don de la vie entre ascendants et descendants, en inscrivant l’aidant dans un rôle de donataire, déterminant quant à la continuité ou à la rupture des relations intergénérationnelles et de l’histoire familiale.

C’est d’ailleurs sur le socle de ce principe de parentalité que la relation d’aide s’inverse. Ainsi, il peut se développer le sentiment chez l’enfant aidant de devenir le parent de son propre parent. Notons que l’équilibre dans le compromis n’est pas toujours facile à atteindre lorsque les proches aidants sont confrontés à la recomposition d’une vie familiale.

IV. Les proches aidants dans le rapport au compromis : 

Accompagner un parent âgé en situation de perte d’autonomie exige un aménagement du mode de vie chez les proches aidants qui doivent composer avec leur activité professionnelle. Dans la plupart des cas, l’activité professionnelle apparaît comme un support dans l’expérience de l’aide mais pour certains membres de famille, son interruption va de soi pour qu’ils puissent s’occuper efficacement de leurs parents « dépendants ».

Être à côté de son parent en perte d’autonomie permet de se sentir plus en sécurité et donc de vivre sereinement. Des aidants refusent de confier leurs proches à une tiers personne.

a) L’aidant non familial

Cette question de l’aidant non familial dans l’accompagnement d’un parent âgé dépendant est très importante pour saisir les représentations des membres de famille vis-à-vis d’autres possibilités de soutien à la personne en complément de l’aide familiale.

D’autre part, on peut penser que la méfiance renvoie au souci de la protection de l’intimité familiale car le recours à ce type d’aidant suppose d’accepter qu’il prenne part à des expériences familiales. A un autre niveau d’analyse, le soutien à sa mère s’inscrit dans une relation de filiation parentale et d’échanges familiaux, alors que la professionnalisation de l’aide n’a comme seule réciprocité que le salaire qui en est obtenu.

Toutefois, le sentiment d’épuisement engendré par l’aidance : d’être toujours présent, d’avoir sacrifié sa carrière professionnelle, d’avoir renoncé à une vie conjugale, conduit les aidants à réévaluer ses intérêts et ses projets.On peut ainsi constater combien l’accompagnement n’est pas toujours aisé même lorsque les membres aidants n’éprouvent pas de difficulté financière. L’absence d’implication collective constitue un motif de discorde, conduisant progressivement à des crises à l’intérieur des familles. La théorie des crises à l’intérieur des familles a tendance à établir le lien entre gestion des incertitudes et fragilités familiales.

En effet, une situation d’aide à un parent malade peut évoluer entre souffrances et compétences, entre constructions des réponses et hésitations. Souvent le doute et la culpabilité s’installent et constituent le lit de la souffrance et des fragilités familiales. La désignation d’un aidant familial ou son effondrement sont aussi des événements qui entraînent une redistribution des rôles au sein de la famille en affectant l’ensemble de ses membres et cela parfois sur plusieurs générations.

Au-delà de la grande charge mentale, la discorde dans la manière de prendre soin d’un parent âgé constitue un autre facteur qui ébranle le compromis et la cohésion du cercle familial.

b) La discorde

La discorde est pénible pour tout le monde car elle entraîne la détresse psychique chez le parent aidé comme chez ses proches. Elle provoque chez la plupart des proches aidants, la solitude et le sentiment d’être prisonnier de leur rôle. Finalement, l’accompagnement d’un parent âgé « dépendant » s’abîme avec le sentiment de fatigue induite par la discorde.

c) L’épuisement

L’évolution de la maladie ou de la fragilité d’un parent âgé provoque des inquiétudes chez les proches aidants soucieux de voir l’état de santé de leurs « parents » s’aggraver. Quand la perte d’autonomie a atteint un niveau avancé, les proches sont amenés à se réorganiser. Mais, généralement, c’est la personne la plus disponible qui est sollicitée.

Elle ne peut pas marcher seule. Elle est généralement couchée ou assise. Elle n’est pas capable d’aller seule aux toilettes ; nous devons l’accompagner, nous avons un déambulateur mais elle ne peut pas l’utiliser seule ; tout ce qu’elle faisait seule avant, elle ne peut plus, elle est vraiment dépendante…
A mesure que le temps passe, l’accompagnement devient pesant et fait émerger des sentiments ambigus dus à la fatigue.

La véritable difficulté n’est pas tellement le fait de voir le parent âgé dans un état d’incapacité mais bien plutôt le fait de constater que ses interactions avec les proches s’amenuisent au fil de la progressive fragilisation. Quand les mots manquent, se perdent, ne signifient plus rien, s’emmêlent les uns aux autres, commence à s’installer cette question lancinante qui ne quittera plus les proches jusqu’à la fin, de savoir ce que pense, ressent, désire la personne malade.

d) L’accompagnement vers la fin de vie

L’accompagnement d’un parent âgé en fin de vie constitue un autre moment d’épuisement pour les proches aidants. En effet, le parcours de fin de vie d’un parent devenu lourdement malade peut durer plus longtemps qu’on ne l’imaginait. Dans ces moments particuliers, la désignation ou l’auto-désignation d’un principal aidant repose parfois moins sur la logique de compromis entre proches aidants que sur la logique sociale mettant en valeur la place des uns et des autres dans la fratrie, dès lors que les privilèges de l’aîné entrent en ligne de compte. Mais cela est apprécié de manière variable selon les familles.

On pose ainsi que l’aide à un proche en situation de dépendance est un stress majeur contre lequel l’aidant doit lutter et auquel il doit s’adapter. Par ailleurs, à propos de l’expérience de l’accompagnement, il nous semble important de souligner que l’engagement des aidants correspond à la manière dont ils intériorisent leur rôle et leurs relations avec leurs parents âgés respectifs. La lourdeur de la prise en charge peut conduire les aidants à s’interroger sur l’intérêt de continuer lorsque la dégradation de la santé de la personne se poursuit.

Pour conclure, nous pensons que malgré les risques de crises, à l’intérieur des familles, liées à l’épuisement, le « compromis » garde son importance pour les proches aidants. Le recours à « l’aidant non familial » semble susciter quelques réticences pour bien d’autres raisons que financières. Pourtant il n’en demeure pas moins une solution alternative : celle de pouvoir soutenir le proche aidant épuisé, ce qui peut ainsi lui permettre de reprendre une activité professionnelle, d’avoir une nouvelle vie sociale plus épanouie pour lui-même et pour la personne aidée.

Le proche aidant tend à l’ignorer et à l’infantiliser comme s’il considérait qu’il avait perdu ses capacités à décider par lui-même. Le constat de ces faits contredit en partie l’affirmation de la bienveillance qui met théoriquement en avant l’intérêt de la personne âgée.

Il apparaît que la prise en charge d’un parent âgé dépendant conduit à une expérience pour les proches de désorganisation et de réorganisation familiale. Avec l’épuisement, les proches aidants dépassent le paradigme dominant du modèle unique de soutien (familial) en exprimant implicitement la nécessité de mise en place de dispositifs gériatriques spécialisés. L’augmentation du nombre des personnes âgées dépendantes dans les années à venir est un véritable enjeu social et politique, qui appelle à imaginer des alternatives au soutien familial prenant en compte des sollicitations exprimées par les proches aidants et la diversité des besoins des personnes âgées à risques pour permettre à ces aidants d’avoir, avec leurs parents âgés, une vie sociale plus épanouie.